Est-ce qu’on brûle autant de calories en jouant aux échecs qu’en courant un marathon ?

Article inspiré de ma chronique à l’émission radio Moteur de recherche du 2 octobre 2024

La fin de session vient de s’achever pour certain-es. Pour d’autres, elle bat son plein (courage, ça achève). Et qui dit fin de session dit souvent « pas le temps de rien faire d’autre de sa vie que de se plonger le nez dans ses notes de cours jusqu’à ce qu’examen s’en suive ».

Une personne qui étudie

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Bin oui. C’est fou comment apprendre par coeur les tenants et les aboutissants de la révolution française ou maîtriser les théories philosophiques de Kant peut vite prendre le dessus sur toutes nos priorités de vie quand la fin de session se pointe le nez. Survivre à nos vingt mille examens signifie donc pour plusieurs de devoir diminuer toute forme d’activité physique pour se transformer temporairement en blob qui fusionne avec sa chaise d’ordi.

Mais est-ce que l’effort intellectuel fourni par nos neurones nous fait brûler des calories ?

Oui, on brûle des calories quand on réfléchit.

Mais !

Est-ce qu’on en brûle beaucoup ? Ah là, c’est une autre histoire.

Non, on n’en brûle pas tant que ça. Au repos, notre cerveau brûle plus ou moins 250 calories par jour. Cette dépense énergétique est associée à notre métabolisme de base, c’est-à-dire au prix que ça nous coûte juste pour exister.

Et même si 250 calories par jour ce n’est pas beaucoup, c’est quand même un chiffre intéressant quand on le relativise par rapport aux autres organes de notre corps. Je m’explique : même si le cerveau représente seulement 2% de notre masse corporelle, il utilise environ 20% de notre consommation d’énergie totale.

Le cerveau est donc parmi les organes les plus coûteux sur le plan métabolique.

Mais ça, c’est au repos.

Est-ce que la dépense énergétique de notre cerveau peut varier d’une activité cognitive à une autre, par exemple si on exécute une tâche très demandante d’un point de vue intellectuel ?

Je reviens à notre fin de session. Est-ce que c’est la même dépense énergétique mettons que tu « vedges » sur ton divan à doomscroller ou si tu tombes en « rage mode » en étudiant ton exam final de calcul différentiel ?

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Oui, l’activité mentale peut être liée à une augmentation de la consommation d’énergie.

Mais là, calme-toé le pompon un peu. L’augmentation est minime, soit de l’ordre d’environ 5%.

Si on revient à notre 250 calories reliées à notre métabolisme de base dont je te parlais tout à l’heure, 5% de 250 calories = 12,5 calories. Ton pompon est calmé maintenant ?

Et là tu te dis peut-être : « Oui mais si on maintient l’activité cérébrale intense sur plusieurs heures gna gna gna gna gna ?» Bon bin moi je te réponds que selon des neuropsychologues, dont Ewan McNay, professeur associé de psychologie et de neurosciences comportementales à l'Université d'Albany, même si on effectue un travail exigeant sur le plan cognitif sur une longue durée, par exemple si on apprend à jouer d’un instrument de musique, on brûlerait environ 100 à 200 calories de plus qu’une personne qui regarde la télévision ou rêvasse pendant la même durée. On parle donc d’une augmentation de 50% à presque 100% du métabolisme de base du cerveau.

Et c’est peut-être de là qu’est parti la croyance qu’un grand maître aux échecs brûlerait autant d’énergie qu’un marathonien.

Même si on comprend que dans la vie de tous les jours, quand on fait un effort cérébral, la dépense énergétique du cerveau ne varie pas énormément, certaines personnes se sont demandé ce qu’il en était dans un contexte de haute performance, comme dans celui des tournois de joueurs d’échec professionnels.

Il existe effectivement une croyance rapportant qu’un grand maître aux échecs brûlerait autant d’énergie qu’un marathonien. C’est cependant une fausse croyance et elle provient en fait des propos du neuroendocrinologque Robert Sapolsky qui aurait mentionné dans le cadre d’une conférence à l’Université Stanford en Californie en 2009 que les grands maîtres d’échecs dépensaient de 6000 à 7000 calories par jour pendant un tournoi.

6000 à 7000 calories par jour.

C’est beaucoup.

Ses propos auraient aussi été rapportés dans un article publié sur le site du réseau américain des sports « ESPN » en 2019. Cet article-là, qui a d’ailleurs pour titre “The grandmaster diet: How to lose weight while barely moving”, [la diète des grands maîtres : comment perdre du poids en bougeant à peine] soulignait une perte de poids chez les joueurs professionnels d’échec de 10 à 12 livres pour la durée totale du tournoi de 10 jours, et ce, en l’attribuant à la dépense énergétique reliée aux efforts mentaux… tout en mentionnant plus loin que les joueurs d’échec perdaient parfois l’appétit en tournoi, n’avait pas le temps de manger ou dormait mal… ce qui on s’entend peut affecter le poids pas mal plus que de se faire aller les neurones pour détrôner un roi !

Mais bref, si on revient juste au propos de Robert Sapolsky, le problème avec ce genre d’affirmations-là, c’est qu’en fait, le fameux 6000 à 7000 calories, c’est une extrapolation. Ces chiffres-là ne sont pas basés sur des données mesurées, mais ont plutôt été déduits à partir de mesures du rythme respiratoire, de la pression artérielle et des contractions musculaires de joueurs d’échecs. Le problème c’est que dans la réalité, ce ne sont pas ces types de données-là qu’on utilise pour connaître la dépense énergétique d’une personne. Le « gold standard », c’est-à-dire la méthode de référence pour la mesurer, c’est plutôt la calorimétrie indirecte qui est une méthode basée sur les mesures d’échanges d’oxygène et de gaz carbonique lors d’une activité donnée chez une personne.

Et quand on regarde les résultats d’études qui ont utilisé la calorimétrie indirecte dans le contexte des parties d’échec, on obtient des chiffres beaucoup moins spectaculaires.

Morpheus dans La Matrice qui dit "Welcome to the real world"

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Selon une étude de 2009 faite sur 24 hommes, la dépense énergétique moyenne étaient de 45 calories au bout de 20 minutes de jeu. Une autre étude de 2022 a comparé la dépense énergétique de 24 joueurs et joueuses d’échecs lors d’une partie d’échec à celle lors d’une séance de course de 30 minutes sur un tapis roulant. Encore une fois, ce ne sont pas des chiffres qui vont nous faire tomber de notre chaise : on parle de 159 calories lors des parties d’échec contre 283 pour la course. 

Ceci étant dit, ça reste quand même des petites études sur de courtes durées de temps. Si on regarde d’autres études faites dans d’autres compétitions cognitives, comme le Esport (le jeu vidéo de compétition), on remarque quand même des constats similaires soit 1.45-2 calories/min de dépense énergétique.

On est quand même loin de l’équivalent du coureur marathonien en dépense énergétique.

Donc au final, c’est tu beaucoup, c’est-tu pas beaucoup ?

Pis c’est drette-là-icitte-maintenant que j’interviens en tant que nutritionniste : ce qui m’intéresse surtout, c’est de voir comment on interprète tous les chiffres dont je viens de te parler. Et j’ai pu rapidement constater jusqu’à quel point la culture des diètes peut s’immiscer partout et faire dire n’importe quoi à la science.

Le gros n’importe quoi de la culture des diètes

Pourquoi je ne suis pas surprise de devoir parler de la culture des diètes quand je parle de dépense énergétique du cerveau…

Big bird disappointed

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Juste avec le titre de l’article que j’ai rapporté un peu plus haut, soit “The grandmaster diet: How to lose weight while barely moving”, on sent qu’il y a de la bullshit derrière tout ça.

Bin figure-toé dont qu’en faisant mes recherches pour rédiger ma chronique, je n’avais pas fini d’être découragée. Je suis tombée sur un article web d’un magazine de « bien-être » complètement hallucinant dans lequel on pourrait presque penser que de réfléchir constitue un nouveau régime minceur !

Ok pis là je vais te partager certaines de « leurs recommandations », mais juste pour être sûre qu’on soit sur la même longueur d’ondes, ce que je te rapporte ici c’est du gros n’importe quoi. D’ailleurs, je n’ai vraiment aucune idée d’où proviennent tous les chiffres qui sont mentionnés dans l’article et que je te rapporte ci-bas. 

L’article de pseudo-santé nous présente donc sa « journée-type pour brûler des calories » :

  • Il y est recommandé de se brosser les dents, pas pour avoir une bonne hygiène dentaire, mais parce que ça ferait brûler un gros 7 calories;

  • L’auteure nous encourage à « faire chauffer ses cellules grises sans hésiter car en cas d’activité mentale intensive, on grimpe à 1,5 calories/minute ! » Parce que, pourquoi réfléchir, si ce n’est que pour maigrir… (lire ici mon extrême ironie évidemment);

  • Et il est même suggéré de lire un polar ou de regarder un thriller, en avançant que d’écouter le film Shining ferait perdre 184 calories comparativement aux Dents de la mer qui nous en ferait brûler seulement 161. Sérieux !!? On en est vraiment rendu à donner ce genre de conseils ? Pourquoi choisir un film en fonction de ses goûts quand on peut en choisir un qui nous fait perdre davantage de poids (lire ici encore une fois mon extrême ironie).

Le plus triste, j’ai vérifié, ce n’est pas un journal satirique. Et là j’espère que je n’ai pas besoin de te préciser que ce genre d’article ne vaut pas grand-chose. Juste de voir qu’il nous suggère de prendre du café à 21h00 pour « booster » notre combustion de calories, ça devrait nous mettre la puce à l’oreille sur la crédibilité des recommandations émises.

Jim Carrey dans le film Menteur menteur qui boit un verre d'eau et le recrache en disant Oh Come On!

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C’est encore plus loufoque (et triste) quand on réalise que l’article n’a pas été écrit dans les années 60 mais bien en 2014 (et qui a été mis à jour en 2020… Ça, ça veut dire que y’a quelqu’un qui a révisé ça et qui s’est dit : oui, tout ceci fait beaucoup de sens).

En conclusion, même si on réfléchit beaucoup, on ne brûle pas tant que ça de calories.

PIS C’EST PAS GRAVE.

Si je reviens aux articles vulgarisés et grand public que j’ai lu pour préparer ma chronique, plusieurs concluaient en annonçant ça comme si c’était une mauvaise nouvelle qu’on ne puisse pas brûler tant que ça de calories avec une activité mentale plus grande.

Mais la véritable question c’est : pourquoi on voudrait faire ça ?

Se faire aller les méninges et réfléchir, c’est important pour plein d’autres raisons beaucoup plus importantes que de brûler des calories, notamment pour lutter contre le déclin cognitif relié au vieillissement (ou juste… parce que c’est une bonne chose de réfléchir non?).

Et à l’inverse, c’est important de bouger pour notre plaisir et notre santé globale, notre santé cardiovasculaire et notre santé mentale aussi, pas pour brûler des calories

Donc de grâce, quand tu fournis un effort mental intense, comme quand tu joues aux échecs, je te souhaite de le faire pour les bonnes raisons : pas pour brûler des calories, mais bien pour planter ton adversaire.

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