Pourquoi dit-on que la pomme est un coupe faim?
Article inspiré de ma chronique à l’émission radio Moteur de recherche du 2 octobre 2025
On va commencer par appeler un chat un chat. Un aliment coupe faim, c’est un pléonasme. Pour couper la faim, il n’existe pas mille solutions : il faut manger.
Ouep. Aussi simple que ça. N’importe quel aliment contient en lui le « grand pouvoir » de couper la faim. Donc si on suit cette logique, techniquement, oui, la pomme est un coupe-faim.
Fin. Lancement du générique.
Ben non. Je ne vais quand même pas te laisser sur ta faim de même en m’arrêtant ici dans mon explication (donc, si on suit cette logique, cet article ne serait donc, techniquement, pas un coupe faim).
Même si j’hais le terme “coupe-faim”, qui sent la culture des diètes à plein nez et qui est utilisé en marketing surtout pour faire dépenser les gens en pilules inutiles, je vais creuser un peu plus pour ton bon plaisir.
Pourquoi on entend souvent que la pomme est un coupe faim ?
T’as sûrement déjà entendu cette expression-là, non ? Sans avoir fait une recherche historique exhaustive pour connaître les origines de cette rumeur (j’suis nutritionniste, pas historienne), c’est juste facile de tomber sur ces vertus supposés de la pomme quand tu te perds un tant soit peu sur les internets. Que ce soit dans des articles de « bien-être » ou même dans des blogs de vergers de pommes (wtf!?), on peut facilement tomber sur des titres du genre :
« 10 aliments coupe-faim pour lutter contre le grignotage » (et la pomme étant au top 1 du palmarès),
« 10 bonnes raisons de manger une pomme » (dont la 4ème raison est que la pomme serait un allié minceur) et
« Quels sont les atouts minceur de la pomme », le #3 étant bien évidemment les vertus coupe-faim.
Hey come on. Ça serait le fun de pouvoir googler notre prochain spot à auto-cueillette de pommes sans nous faire écoeurer avec des supposés attributs minceur d’une pomme.
Entéka. Je t’avertis : on va devoir allumer notre détecteur à bullshit, surtout quand on réalise qu’un des articles que je viens de mentionner a été rédigé par une éducatrice canine, et on va regarder de plus près tout ça.
Les arguments avancés dans la culture populaire en lien avec le « super pouvoir » de la pomme de « couper la faim », soulignons ici mon emploi massif de guillemets, sont surtout en lien avec sa teneur en pectines, son indice glycémique et sa texture qui augmenteraient le sentiment de satiété après consommation.
Qu’est-ce que dit la science là-dessus?
Pour être ben franche avec toi, c’est quand même des hypothèses qui « techniquement » tiennent la route. Mais est-ce que ça a été testé scientifiquement ?
La pectine contenue dans les pommes et son effet sur la satiété
Les pommes contiennent effectivement un type de fibre soluble nommée pectine. Pour toi qui ne connaitrais pas ce petit-nom-là, la pectine est aussi utilisée pour confectionner des gelées, comme des bulles de bubble tea, car c’est une fibre alimentaire qui a la particularité de former un gel dans l’eau.
Quand on consomme des aliments qui contiennent des pectines, elles vont se lier à l’eau contenue dans les aliments et augmenter le volume de nourriture dans l’estomac. Un peu comme un ballon qu’on gonfle, notre estomac va donc se distendre. Et cette expansion mécanique est reliée à des capteurs de pression situé sur notre estomac qui vont envoyer des signaux de satiété à notre cerveau.
Mais ça c’est l’effet des pectines et des fibres solubles en général sur l’appétit, et pas spécifiquement par rapport à la pomme.
Pour ce qui est de l’effet des pectines contenues dans une seule pomme sur la satiété, en ce moment, on a quelques études chez les rats qui tentent d’éclaircir le phénomène, mais l’effet direct sur la satiété n’est pas aussi clair que les articles de « bien-être » peuvent le laisser entendre.
Le verdict du bullshit-o-mètre : la pomme n’a pas un effet miracle sur la satiété si on la compare à d’autres aliments qui sont riches en fibres. Dire que les pommes ont un effet coupe faim car elles contiennent de la pectine, c’est de la bullshit.
L’indice glycémique des pommes et son effet sur la satiété
Pour ce qui est de l’impact de l’indice glycémique de la pomme sur la satiété, encore une fois, l’hypothèse tiendrait quand même la route : quand un aliment a un indice glycémique élevé, quand on le consomme, le taux de sucre dans notre sang augmenterait rapidement tandis qu'un indice glycémique bas signifierait une augmentation plus lente.
Ça veut aussi dire qu’un pic rapide de glycémie pourrait mener à des chutes rapides de sucre dans notre sang et réduire la satiété comparativement à des aliments à faible indice glycémique.
Hypothèse = indice glycémique bas —> pic de glycémie modéré —> satiété prolongée
Mais dans le vrai monde, c’est plus compliqué que ça.
Il existe beaucoup de variations de réponses glycémiques entre les individus et les résultats sur l’impact de l’indice glycémique sur la satiété sont souvent inconstants d’une étude à une autre. En gros, on ne comprend pas encore vraiment la relation entre l’indice glycémique des aliments, les hormones régulatrices de l’appétit (dont la ghréline et la leptine) et la satiété.
Le verdict du bullshit-o-mètre : Dire que les pommes ont un effet coupe faim car elles ont un faible indice glycémique, c’est de la bullshit.
Le temps de mastication d’une pomme et son effet sur la satiété
L’hypothèse se résume comme ceci : quand on mastique longuement un aliment, on permet aux nutriments d’être plus biodisponibles et ça pourrait augmenter la satiété en augmentant la sécrétion des hormones régulatrices de l’appétit.
Dans la vraie vie maintenant : Oui, il existe de bonnes raisons de croire que la mastication pourrait influencer la satiété. Il y a plusieurs données qui démontrent qu'une augmentation de la mastication réduit l'apport alimentaire et augmente la satiété, mais malgré tout, plusieurs auteurs mentionnent que ça prend plus de recherches pour caractériser l’effet réel dans un contexte de vie réel.
Le verdict du bullshit-o-mètre : Si tu manges lentement, peu importe l’aliment, ça peut avoir un effet sur ta satiété. Dire que les pommes ont un effet coupe faim car elles prennent du temps à mastiquer, c’est de la bullshit.
Ah et aussi ! Un autre fait intéressant à noter : une étude a effectivement rapporté qu’un groupe de participants mastiquant de manière prolongée son déjeuner mangeaient moins de bonbons plus tard dans la journée que le groupe de mastication habituelle, mais ils ont aussi démontré que ceux qui mastiquaient davantage était moins heureux et appréciaient moins leur déjeuner.
Donc avant de te mettre à mastiquer comme s’il n’y avait plus de lendemain pour augmenter ta satiété, on garde en tête svp qu’il faut quand même avoir du plaisir en mangeant.
Verdict final du Bullshit-o-mètre
Pour résumer en deux phrases tout ce que je viens de dire :
Oui la pomme possède des caractéristiques qui font qu’elle peut être plus rassasiante que d’autres aliments, mais on comprend que ce n’est pas exclusif à la pomme en tant que tel.
Souvent, les aliments riches en fibres et qui nécessitent plus de mastication, par exemple une pomme comparativement à un jus de pommes, vont rassasier plus longtemps.
Est-ce qu’à l’inverse, manger une pomme peut donner encore plus faim ?
Ok. Imagine-toi que tu es en train de travailler ou d’étudier. Il est 11h, c’est pas encore l’heure du lunch, mais t’as déjà faim. Tu prends une pomme pour patienter, mais là horreur ! Elle te donne encore plus faim! Pourquoi manger une pomme te donne encore plus faim (surtout qu’on vient de dire que la pomme peut rassasier) ?!
Cette situation-là (qui, avoue-le, nous est tous et toutes déjà arrivé-es) démontre justement que c’est méga important de sortir de la théorie et d’aller dans la pratique pour contextualiser la complexité de l’alimentation. Je vais d’ailleurs te donner deux exemples que j’ai vécus pour t’illustrer qu’on peut manger le même aliment dans des contextes différents et n’avoir pas du tout le même effet sur la satiété.
Exemple #1 : La pomme qui me donne juste le p’tit boost de sucre dont j’ai besoin
Quand je travaillais dans un pub ludique, je finissais mon quart de travail vers minuit et demi, une heure du matin. Souvent, même si je savais que j’aurais dû avoir faim parce que j’avais passé la soirée à courir et que j’avais pas eu le temps de manger beaucoup, j’avais plutôt un peu mal au cœur à la fin de mon quart de travail. Mais, je savais aussi que j’avais un trajet de 30 minutes de vélo à faire qui allait m’ouvrir l’appétit et je ne voulais pas arrivée complètement affamée chez nous. Souvent, j’avais pris l’habitude de manger une pomme juste avant de prendre mon vélo, juste pour me donner un petit boost de sucre. Ça coupait ma faim temporairement et quand j’arrivais chez nous, là je mangeais « normalement ».
Exemple #2 : La pomme qui fait juste me donner ENCORE PLUS FAIM
J’ai des souvenirs très vifs de moi au secondaire en plein pic de croissance, après ma journée d’école, en train de faire mes devoirs dans la cuisine vers 16h30-17h00 et qui avais super faim. Dans ce temps-là, ma mère me proposait de manger une pomme en collation. Une pomme. UNE pomme. UNE POMME. Sérieux, j’avais juste VRAIMENT ENCORE PLUS FAIM après l’avoir mangé.
Conclusion des deux exemples
Tout ça pour te dire que ce n’est pas vraiment la pomme en tant que tel qui est importante dans l’équation, mais plutôt les facteurs autour de sa consommation.
Quand il est 11h, que ce n’est pas encore l’heure du lunch, que t’as faim, que tu prends une pomme « pour patienter» et que ça te donne davantage faim, c’est probablement parce que tu serais plutôt prêt-e à dîner, mais que ton horaire de travail (ou les conventions sociales, c’est selon), te dit que ce n’est pas encore le temps de manger.
Tu te retrouves donc en dualité avec :
ta faim physiologique (ton ventre gargouille, tu as de la misère à te concentrer et à penser à autre chose qu’à manger, tu as le shake, etc.) et
ta faim « rationnelle » qui te dit qu’on devrait manger à telle heure et pas « là maintenant ».
Et je veux prendre le temps de souligner que ce n’est pas tout le temps évident quand on travaille de faire correspondre les deux types de faim. Si pendant un meeting avec ton ou ta boss et 10 autres collègues de travail t’as faim là-maintenant, ça serait peut-être inapproprié que tu te sortes ton lunch (ou peut-être pas dans le fond… mais en tout cas, ce n’est peut-être pas socialement accepté dans ton milieu de travail ou ton milieu académique).
Par contre, ce que tu peux faire, c’est de normaliser ta faim et de l’honorer. C’est d’ailleurs pour ça que ça existe des collations. Ça permet de « patienter » entre deux repas. Et c’est ben correct d’en manger. On dirait que c’est comme mal vu d’avoir faim entre deux repas, mais au contraire, pour certaines personnes, c’est juste normal. On a tous et toutes un métabolisme différent et il y a plusieurs facteurs qui peuvent influencer ton appétit d’une journée à une autre, par exemple ce que tu as mangé le matin même ou si tu as fait de l’activité physique.
Donc est-ce que la pomme peut donner davantage faim ?
Ce n’est pas tant la pomme qui ouvre la faim, c’est qu’à ce moment-là, la pomme ce n’est peut-être pas suffisant pour ta faim physiologique du moment. Si ça t’arrive et que tu ne peux pas t’arrêter pour dîner à ce moment-là, tu peux essayer de prendre une collation plus soutenante. Pour t’aider à te rendre au dîner, tu peux rajouter à ta pomme par exemple :
Des craquelins de grains entiers,
Du fromage ou du yogourt,
Des noix ou un mélange du randonneur,
Du beurre de pinottes,
De l’humus au chocolat (oui, ça existe et c’est délicieux)
Donc en conclusion : plutôt que de te fier à des listes d’aliments coupe-faim, c’est plus gagnant d’apprendre à te connaître et à comprendre ce qui fonctionne pour toi en fonction de ta faim et des réalités que tu vies.
Et de grâce, quand t’as faim, il faut manger.
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